Beate Surmann : Licht-Blick. Paulinus Nolanus, carm. 23. Edition, Übersetzung, Kommentar. Trier: Wissenschaftlicher Verlag Trier 2005 (Bochumer Altertumswissenschaftliches Colloquium 64). 426 p. Euro 54.50. ISBN 3-88476-738-0.
L'ouvrage de Beate Surmann s'inscrit dans le regain d'intérêt pour l'œuvre de Paulin de Nole qui a marqué les quinze dernières années. On s'est aperçu, en effet, que l'apport de ce grand aristocrate pour l'étude de la littérature et de l'histoire de la culture et de la religion de l'Antiquité tardive est beaucoup plus important que ce qu'on avait longtemps imaginé. D'où une floraison d'études et de commentaires – dont l'auteur du présent compte-rendu est en partie coupable – qui n'en est certainement qu'à ses débuts.
Le carmen 23 est le septième des Natalicia, poèmes anniversaires écrits par Paulin à raison de un par année à l'occasion de la fête du saint patron de Nole, Félix. Composé pour le 14 janvier 401 et certainement récité ce jour-là en public, il rapporte un miracle ayant eu lieu près de la tombe du saint : le moine Theridius qui s'était blessé en se prenant l'œil dans un crochet dans la sombre basilique de Nole est guéri par Félix. Au-delà de l'anecdote, Paulin veut donner à ses auditeurs et à ses lecteurs un peu de lumière (Beate Surmann utilise le terme « Lichtblick », d'où le titre du livre) sur l'action de la grâce divine dans la vie des hommes.
L'ouvrage est composé de cinq parties. La première, très courte, est consacrée à l'introduction. Dans la deuxième partie, Beate Surmann s'intéresse au genre littéraire du carmen 23. Dans la troisième, elle donne le texte et la traduction du poème. Le commentaire, qui constitue le cœur de l'ouvrage, occupe la quatrième partie, alors que la cinquième propose un résumé des résultats obtenus. Le livre comporte en outre une excellente bibliographie et des index fort utiles (un index des passages de la Bible, un index des auteurs antiques et médiévaux, et un index des noms, des lieux et des choses).
La première partie (p. 11-17), l'introduction, présente les buts et la méthode de l'ouvrage, ainsi que la vie et l'œuvre de Paulin.
Dans la deuxième partie (p. 18-33), l'auteur étudie le genre littéraire du carmen 23 et montre sa parenté avec la poésie anniversaire païenne, l'historiographie (Paulin comprend les Natalicia comme des écrits hagiographiques, qu'il classe dans le genre historiographique, plus précisément biographique) et l'épopée (les Natalicia appartiennent au domaine de l'épopée historique et encomiastique). Paulin se sert de la tradition littéraire pour la mettre au service du message religieux qu'il veut transmettre (christianisation des genres). Beate Surmann conclut cette deuxième partie ainsi – je traduis : « Le carmen 23 est un poème anniversaire hagiographique sous la forme d'une petite pièce épique (epyllion) historique et encomiastique, qui traite d'un épisode contemporain de l'histoire du salut » (p. 33).
La troisième partie (p. 34-83) est consacrée au texte et à la traduction du poème. Le texte a été entièrement revu par l'éditrice, qui comble ainsi les nombreuses lacunes de l'édition de Hartel (1894). Dans sa Praefatio, Beate Surmann présente dans le détail les principes suivis pour l'établissement du texte. Celui-ci est muni d'un apparat critique, d'un apparat des Fontes (les réminiscences bibliques sont les plus nombreuses, mais il y a bien sûr aussi des échos aux anciens, tels Virgile – surtout –, Silius, Iuvencus et Prudence) et d'un apparat des Testimonia (imitation de Paulin par des auteurs postérieurs, tels Sedulius et Grégoire de Tours). Comme l'affirme Beate Surmann, sa traduction allemande, placée en regard du texte latin, tente de respecter le caractère poétique de la pièce par un langage proche de la poésie. Je laisse au lecteur germanophone le soin de juger de la réussite de l'entreprise. Je trouve pour ma part cette traduction claire et précise.
La quatrième partie (p. 84-366) est consacrée au commentaire, qui comporte trois étapes distinctes.
Dans la première étape (« Strukturanalyse », p. 84-97) Beate Surmann procède à une analyse de la structure du poème, qui peut être divisé en cinq parties. Le récit de l'accident et de la guérison du moine, qui constitue le cœur du poème (v. 106-266), est précédé d'une partie décrivant les exorcismes ayant eu lieu sur la tombe de Félix (v. 45-105) et suivi de l'interprétation théologique du miracle (v. 266-329). Dans le prooemium (v. 1-44) et l'épilogue (v. 330-335) Paulin parle à la première personne des circonstances de la composition du poème (prooemium) et de la signification que revêt pour lui le miracle rapporté (épilogue).
La deuxième étape du commentaire (« Grundfragen des Textverständnisses », p. 97-155) a pour but de traiter, de manière ponctuelle, d'une série de questions fondamentales, ce qui permet d'éviter d'alourdir la troisième étape (l'« Interpretation ») par de longues explications qui lui feraient perdre son unité (cf. p. 14). On trouve dans cette deuxième étape des informations très détaillées (il y 18 notices, qui occupent en moyenne chacune trois pages environ) sur des personnages (saint Félix et son culte, par exemple), des faits et des objets (par exemple le lychnum, c'est-à-dire la lampe dans le crochet de laquelle Theridius s'est pris l'œil), des questions littéraires (poésie anniversaire, par exemple) ou théologiques (vénération des saints, par exemple). Beate Surmann traite aussi à cet endroit des problèmes de critique textuelle et de certaines difficultés linguistiques.
La troisième étape (« Interpretation der einzelnen Teile », p. 155-366) est un commentaire linéaire du poème, divisé en cinq parties correspondant aux cinq parties du poème. Si l'étude séparée de la structure du poème (première étape) se justifie pleinement, car elle permet au lecteur de se faire une idée précise du contenu et de la construction du poème, l'utilité de séparer les informations de base (deuxième étape) de l'interprétation ou commentaire proprement dit (troisième étape) n'est pas évidente. Cette disposition force le lecteur, dans sa lecture du poème, à passer d'une partie du commentaire à l'autre, tâche qui n'est guère facilitée par le titre courant (en-tête), qui est, sur la page de gauche, pour la première et la deuxième étape du commentaire « Kommentar », pour la troisième étape « Interpretation ». Le lecteur qui chercherait à s'informer ponctuellement sur un passage du poème et qui n'aurait pas lu l'introduction ne voit pas sa tâche facilitée. En outre, la tendance à l'exhaustivité du commentaire (plus de dix pages, par exemple, sont consacrées aux vers 37 à 44) fera peut-être regretter à certains lecteurs un commentaire plus ramassé mais aussi plus facilement consultable. Une solution aurait pu être de traiter de certains problèmes dans une introduction substantielle, permettant ainsi d'alléger le commentaire et de faciliter la lecture, moyennant bien sûr une série de renvois judicieux à l'introduction ; ainsi, de même qu'un chapitre est consacré au genre littéraire du poème, on aurait pu, par exemple, en consacrer un à la question de Félix et de son culte. Mais cela fait partie des choix légitimes de l'auteur, et il est certain que le spécialiste de Paulin fera son miel de ce commentaire. Car on ne peut que souligner la grande qualité de l'étude de Beate Surmann, qui ne laisse aucun point dans l'ombre et dont la qualité de l'information est remarquable. Elle analyse en détail chaque passage, relevant structure, figures de style, motifs, imitations, etc. Elle fait montre en outre d'une solide maîtrise des sources antiques et bibliques de Paulin, ainsi que d'une excellente connaissance de son œuvre. Une foule de sujets sont traités : théorie poétique, histoire de la médecine, archéologie, théologie (hagiographie, dogmatique, christologie, doctrine de la grâce), etc. Par exemple, tout un chapitre est consacré à la symbolique de la nature chez Paulin (p. 155-209). On ajoutera que le recours à la littérature secondaire est constant et judicieux. Enfin, Beate Surmann met bien en évidence le message que Paulin veut transmettre à ses auditeurs : la grâce du Christ, à travers saint Félix, est en mesure de guérir et de purifier la puissance visuelle corporelle et spirituelle. Pour Paulin, la guérison de l'œil de Theridius est une continuation de l'acte créateur ; les miracles de saint Félix sont une continuation de l'histoire du salut rapportée par la Bible. Dans l'épilogue Paulin affirme que ce miracle a été pour lui une illumination intérieure qui lui a permis de prendre conscience du pouvoir protecteur de Félix. Il s'agit des yeux du cœur : les yeux de son cœur ont été ouverts à la présence de Dieu dans le monde.
La cinquième partie (p. 367-377) est un résumé de cette étude du carmen 23. Il se révélera sans nul doute de la plus grande utilité au lecteur désireux de se faire rapidement une idée d'ensemble du poème. Une réserve toutefois : l'utilisation d'un article de journal comme fil rouge (surtout au début) de ce résumé me paraît quelque peu artificielle et à la limite de l'incongru, bien que, je l'avoue, la similitude des situations de Theridius et de M. Murphy (dont la paupière s'est prise dans un crochet en principe destiné à soutenir une couronne de l'Avent) soit vraiment frappante !
Une belle étude du carmen 23, donc, qui contribue à mieux connaître l'œuvre de Paulin et à en souligner la profondeur.
David Amherdt, Université de
Fribourg (Suisse)
david.amherdt@unifr.ch