Stefania Santelia: Sidonio Apollinare. Carme 24: Propempticon ad libellum. Introduzione, traduzione e commento. Bari:  Edipuglia 2002 (Quaderni di « Invigilata Lucernis » 16). 164 p.

 

Les commentaires des œuvres de Sidoine Apollinaire sont encore peu nombreux. Pour les lettres, on dispose seulement de commentaires des livres 1 (H. Köhler, 1995) et 4 (D. Amherdt, 2001). Les carm. 14 et 15 ont été étudiés par G. Ravenna (1990) et le carm. 22 par N. Delhey (1993). C’est dire si la présente publication, consacrée au carm. 24 (Propempticon ad libellum), qui clôt le recueil des carmina, est bienvenue. Elle comporte une introduction, le texte latin du poème, une traduction italienne, un commentaire, une bibliographie, un index des auteurs antiques et des passages cités.

       L’introduction s’ouvre (p. 11-18) sur une riche présentation de la bibliographie de Sidoine (vie, œuvres, langue, style; contexte littéraire, historique et social). La grande utilité d’une telle revue ne fait pas l’ombre d’un doute. On peut en revanche déplorer que ces données bibliographiques aient été rejetées dans les notes, qui occupent plus des deux tiers des pages: pourquoi ne pas consacrer un chapitre à part entière à cette enquête bibliographique? Mais cela n’est finalement qu’une question « esthétique », n’enlevant rien à la qualité de ces pages qui rendront d’inestimables services au chercheur sidonien.

       Le premier chapitre de l’introduction (p. 18-19) traite de la datation du livre des nugae (carm. 9-24), auquel appartient le propempticon. Stefania Santelia (S.) adopte les arguments de W. Schetter[1] (publications des nugae en deux temps) contre ceux de A. Loyen[2] (publication en trois temps). En particulier, on peut exclure que le carm. 24 ait été publié après le carm. 9, qui ouvre le recueil : le carm. 24 doit être considéré comme le pendant du carm. 9 (cf. infra). S. partage l’extrême prudence de Schetter relativement à la difficulté de fixer avec certitude les dates de publication de ces poèmes.

       Le deuxième chapitre (p.19-26) est consacré au contenu et à la structure du poème. Sidoine prend congé du liber auquel il vient de mettre la dernière main et l’exhorte à rendre visite à ses sodales, ses amis les plus intimes, en franchissant huit étapes menant d’Avitacum (la propriété de Sidoine) à Narbonne, dans une sorte de voyage en zigzag par monts et par vaux passant, entre autres, par Clermont et Brioude. Le poème peut être divisé en trois sections, lesquelles sont à leur tour subdivisées ; le tout est présenté par S. sous forme de tableau.

       Dans le troisième chapitre (p. 26-34), S. traite de l’apostrophe ad libellum et du livre « lettre ». Le motif qui sert de fil rouge au poème est celui du « voyage » du liber. Sidoine s’adresse à sa propre création poétique, s’inscrivant ainsi dans une tradition littéraire bien établie, présente chez Horace, Ovide et Martial, mais aussi chez Stace et Ausone. S. étudie en détail les ressemblances et les différences entre notre texte et ces auteurs dans la manière de traiter ce topos et souligne la forte dépendance de Sidoine par rapport au modèle d’Ausone.

       Le quatrième chapitre (p. 34-43) est consacré au style et aux modèles du carm. 24. Comme à l’ordinaire chez Sidoine, les sources d’inspiration sont extrêmement variées. S. étudie chaque partie du poème en particulier pour en relever le soin de la composition, le choix attentif du style et du lexique, les modèles (Virgile, Catulle, Ovide, etc.), les lieux communs (écriture = navigation, etc.). Cette présentation générale est très utile pour une première lecture du poème ; le commentaire développe dans le détail les thèmes étudiés dans ce chapitre.

       Le cinquième chapitre (p. 43-46) traite des analogies formelles et de la complémentarité entre le carm. 9, qui ouvre le recueil des nugae, et le carm. 24, qui le clôt. Les deux pièces sont composées en hendécasyllabes phaléciens, elles ont toutes deux une composition circulaire et leur matière est organisée par sections et tableaux autonomes. Tant au début du carm. 9 qu’au début du carm. 24, Sidoine se présente comme l’initiateur d’un genre nouveau, et dans les deux textes apparaissent Félix et Probus, les fils du consul Magnus. Les deux poèmes, en outre, se complètent l’un l’autre : ainsi, dans le carm. 24 les personnages qui accueilleront avec bienveillance le recueil sont nommés, alors qu’ils restent dans l’ombre dans le carm. 9 ; dans le carm. 9, Sidoine évoque les lecteurs mal disposés et excessivement critiques, alors que dans le carm. 24 toute trace de polémique est absente. Enfin, le désir de Sidoine de présenter dans le carm. 24 le recueil comme une lettre destinée à ses amis explique l’incipit du carm. 9, qui, dans un style propre au genre épistolaire, cite les noms des destinataires et de l’épistolier, particularité qui s’explique mal dans un poème du genre de carm. 9, mais qui prend tout son sens si l’on pense que cette inscriptio avait en fait pour but d’introduire le poème « lettre » final, le carm. 24.

       Le sixième chapitre de l’introduction (p. 46-51) s’interroge sur le public des nugae et sur la nature de la publication du liber. Le recueil des nugae, comme c’était d’ordinaire le cas à l’époque pour de tels ouvrages (qui étaient même parfois copiés, avec ou sans le consentement de leur auteur), a dû circuler parmi les amis de Sidoine, comme le poème 24 le laisse d’ailleurs entrevoir à travers le filtre de la fiction littéraire. Il était destiné à l’élite à laquelle Sidoine appartenait. Les nugae sont, conclut S., une « scrittura d’élite pensata per essere fruita unicamente dall’elite nel cui ambito è stata prodotta » (p. 49). Au-delà de la fiction littéraire, le carm. 24 est un hommage aux sodales les plus chers de Sidoine, en même temps qu’un témoignage sur la vie quotidienne de l’élite gallo-romaine de l’époque (monde des grammairiens, importance accordée aux lieux saints, réalité des grandes villas, etc.). S. souligne en outre, avec raison, le contraste qui existe entre les vicissitudes dramatiques de l’époque et l’impression d’équilibre parfait qui se dégage du monde sidonien : un monde si beau qu’il semble situé au-delà de la réalité, comme si notre auteur voulait se persuader que, malgré les apparences, rien n’a changé. Et S. de conclure que la poésie sidonienne ne veut pas affronter des thèmes qui pourraient de quelque façon attrister le lecteur: c’est une poésie légère (levis), une « œuvre de joie », selon l’expression de Loyen[3] citée par S.

       S. présente ensuite le texte latin du poème, qui est celui de l’édition critique de Loyen, dont elle ne se distancie qu’aux vers 8-9. La traduction italienne est placée en regard. Elle me paraît soignée et précise, bien que ma connaissance de l’italien ne me permette pas d’exprimer ici un jugement sûr.

       Pour son commentaire, S. semble avoir pris le parti de l’exhaustivité. Ses explications, vers par vers, sont en tout cas très complètes, souvent longues, et répondent à toutes les interrogations que l’on peut avoir sur le texte.

       Le vocabulaire et les expressions sont étudiés en grand détail (acceptions particulières, attestation d’un terme chez Sidoine et dans la littérature ; par exemple, le terme columna pris dans le sens de miliarium, « pierre miliaire » [v. 6-7, p. 66-67]; sanctus dans le sens religieux [v. 17, p. 72-73] ; l’étude de l’expression uiuens... potestas, faisant référence à la puissance émanant de la tombe de saint Julien, donne lieu à une longue explication sur le pouvoir des saints [miracles, etc.; v. 19, p. 75-77]). S. signale aussi les particularités grammaticales ou syntaxiques, ainsi que les procédés rhétoriques, dont Sidoine fait grand usage, et prend soin de justifier sa traduction, s’opposant p. ex. à Loyen et à Anderson pour la traduction de trepidantibus Camenis au v. 11 (p. 70). L’exégèse du texte est poussée très loin; c’est ainsi que S. propose des solutions intéressantes à des problèmes restés jusqu’ici en suspens (p. ex. l’étrange expression sublimem in puteo... urbem du v. 25 donne lieu à plus de deux pages d’explications, p. 79-82). Une grande importance est accordée à l’étude de la tradition littéraire dont Sidoine s’inspire (échos ou emprunts aux auteurs antérieurs, lieux communs, motifs) : l’imitatio et l’aemulatio jouent un rôle essentiel chez Sidoine, ce que le commentaire met particulièrement bien en valeur.

       S. propose aussi d’intéressants développements sur l’histoire et la civilisation de l’époque. On est informé sur le culte des saints (cf. supra), sur les divers lieux que traverse le liber (terres du Gévaudan, Trevidon, etc., passim), sur les villas de l’époque (p. 84-85). Dans le commentaire des vers où Sidoine parle de son épouse Papianilla (v. 39-43, p. 89-94), S. consacre près de quatre pages à la vision que Sidoine avait des femmes et à leur situation dans l’Antiquité tardive. Les développements prosopographiques à propos des personnages intervenant dans le poème sont aussi très fouillés.

       Soulignons enfin que l’introduction et le commentaire se complètent harmonieusement, et que le recours aux sources et à la littérature secondaire est remarquable, comme pouvait le laisser espérer la solide bibliographie présentée au début de l’introduction et reprise dans la bibliographie finale.

       On peut regretter l’absence d’index nominum et rerum et d’index verborum, qui facilitent toujours grandement l’accès à de tels commentaires, rarement lus d’un bout à l’autre, mais très souvent consultés pour des problèmes particuliers. Les nombreuses et précieuses informations figurant dans le commentaire auraient mérité d’être ainsi mieux mises en valeur.

       Bref, un ouvrage à marquer d’un pierre blanche dans l’étude de la poésie de Sidoine.


David Amherdt, Fribourg (Suisse)
david.amherdt@unifr.ch


[1] W. Schetter, « Zur Publikation der Carmina minora des Apollinaris Sidonius », Hermes 120 (1992), pages 343-363.

[2]   A. Loyen, Sidoine Apollinaire I, Poèmes, Texte établi et traduit, Paris, 1960, pages XXX-XXXV.

[3]   A. Loyen, Sidoine Apollinaire et l’esprit précieux en Gaule aux derniers jours de l’Empire, Paris, 1943, page 105.