Giuliano Imperatore, Simposio I Cesari, edizione critica, traduzione e commento a cura die Rosanna Sardiello, Lecce (Mario Congedo editore) 2000, pg. 203 (pb.)
 

Une nouvelle édition traduite et commentée de cet ouvrage étonnant presque aussi étonnant que le Misopogon du même auteur n'était pas inutile. Certes, Les Césars ont été assez souvent publiés, et les travaux de Bidez sur le texte des œuvres de Julien et sa transmission ne paraissent pas pouvoir être remis en question. Mais la dernière édition véritable, celle de Lacombrade dans la CUF (Belles Lettres), établie dans des conditions difficiles, remonte à près de quarante ans et méritait un rajeunissement (surtout en ce qui concerne le commentaire) qui tînt compte des travaux plus récents, en particulier ceux de C. Prato et l'important ouvrage de J. Bouffartigue.

Ce qui retient d'abord l'attention c'est le texte grec, présenté avec clarté et élégance. À chaque fois que c'était possible, Mme Sardiello a tenu à revenir à la tradition, contre les corrections introduites par de soupçonneux érudits et dont un certain nombre s'étaient maintenues jusque chez Lacombrade. Principe de bon sens: d'une part ce sont a priori les manuscrits qui nous fournissent le texte, d'autre part Julien n'est pas un Athénien du Ve siècle, il n'est pas raisonnable de vouloir le corriger. Très souvent, d'ailleurs, ont été trouvées de nombreuses références chez les contemporains ou chez Julien lui-même pour défendre des leçons qui naguère avaient été crues fautives (voir, par ex. en 4,6; 5,9; 8,4; 10,17). De même, puisqu'il a été reconnu, déjà par Bidez et Lacombrade, qu'il fallait donner la primauté aux accords du Vossianus et du Marcianus, il était logique d'en tirer les conséquences partout où on pouvait le faire (1). On note aussi deux conjectures bien étayées qui suppléent le texte corrompu en 11,9-10. L'apparat est très complet (2) et plus précis que ses prédécesseurs, dont il fait apparaître les omissions, et la notice préliminaire donne un tableau très complet des manuscrits et des éditions antérieures.

Je n'ai pas une connaissance suffisante de l'italien pour juger de la traduction. En tout cas, je n'y ai pas vu d'erreur (il est vrai que Rostagni, Lacombrade et F.L. Müller fournissaient une large base de départ). La seule réserve que l'on puisse formuler touche à la précision du rendu dans le détail de certaines expressions (3), mais il est possible que ce soit l'italien lui-même qu'il faille incriminer, plutôt que la traductrice.

Seize pages d'introduction et quatre-vingt douze de notes (4) constituent le commentaire littéraire, idéologique et historique. Les raisons que l'on a de placer la rédaction des Césars en décembre 362 à Antioche y sont exposées et complétées de manière convaincante. Cette satire pose la double et difficile question des sources: double, parce qu'il y a les modèles littéraires que Julien a imités et auxquels il a emprunté, et qu'il y a les documents d'où il a tiré son information sur l'histoire de l'Empire; difficile, d'une part parce que nous avons perdu la majorité des ouvrages historiques qui pouvaient circuler au IVe siècle et que le réseau des conjectures modernes en ce domaine est ardu à débrouiller; d'autre part parce que l'on a du mal à se faire une idée précise de la profondeur de la culture littéraire de Julien ceci est récent: avant J.Bouffartigue, il était entendu que l'empereur était un véritable érudit; mais ce savant a mis en doute la légende dorée, allant même jusqu'à parler de culture construite à base de morceaux choisis et de résumés scolaires. Il convient enfin de tenir compte des lieux communs catalogués par les écoles de rhétorique: la présence d'un thème commun à deux œuvres n'implique pas nécessairement la lecture de l'une par l'auteur de l'autre. Mme Sardiello étudie donc cette question avec la grande attention qui la caractérise, mais elle reste, à bon droit, fort prudente.

Elle donne cependant des arguments qui ne sont pas sans valeur contre certaines positions de J. Bouffartigue, en particulier elle estime que César a bel et bien été lu dans le texte par Julien (voir ainsi la note sur 23,15): que celui-ci n'ait peut-être pas si bien connu le latin que le disait Libanios (qui n'y connaissait rien) et que lont affirmé des générations d'admirateurs modernes est vraisemblable, mais entre l'ignorance et la maîtrise d'une langue, il y a toute une série de stades intermédiaires, où l'on doit sans doute le placer; en outre il a passé quelques années en Gaule, dont des hivers studieux à Lutèce: ce serait le moment et le lieu d'une étude sérieuse de l'œuvre laissée par celui qui l'avait précédé en ce pays. Il en est de même à propos de Plutarque et, entre autres, Mme Sardiello analyse de manière plutôt convaincante (p. 145) un passage du Misopogon invoqué par J. Bouffartigue pour défendre la thèse d'une connaissance indirecte du biographe. À propos de la culture grecque aussi, il faut donc sans doute chercher pour l'Empereur une position intermédiaire entre celle d'un "sophiste couronné" et celle d'un autodidacte à peine frotté de littérature.

Pour le reste, on ne saurait présenter ici la liste complète des nombreux rapprochements, rhétoriques, littéraires ou historiques, qui sont recensés et explicités dans les notes de cette édition. L'influence du Banquet de Platon est une évidence dont le détail est bien mis en valeur, mais aussi celle de Lucien, plus surprenante quand on connaît les goûts affichés par Julien (et en même temps peut-être guère surprenante quand on sait d'autre part que J. Bouffartigue a mis à jour derrière les propos de l'Empereur des lectures dont celui-ci ne s'est pas vanté, parce qu'elles ne lui paraissaient pas dignes de la gravité philosophique). Ce que dit Mme Sardiello des rôles tenus par les divers personnages de ce Banquet julianien, en les rapportant à ses modèles et à ce que l'on sait des banquets réels, constitue une fine analyse d'un grand intérêt. On voit aussi l'auteur des Césars se représenter lui-même à l'intérieur de son œuvre sous la forme de plusieurs protagonistes (le narrateur, Silène, Marc Aurèle), indice sans doute du sentiment qu'il pouvait avoir de la multiplicité du déchirement? de la schizophrénie? de sa propre personnalité. Par ailleurs, les coïncidences (et parfois les divergences, peut-être aurait-il fallu parler davantage du cas de Sévère Alexandre) avec l'Histoire Auguste sont soigneusement recensées. Il manque encore, à ma connaissance, une mise au point générale sur les rapports entre ce dernier ouvrage et celui de Julien, mais la question concerne davantage les spécialistes de l'Histoire Auguste (5).

Quel est le sens des Césars? Comment expliquer le double paradoxe d'une œuvre de fantaisie composée par quelqu'un qui méprisait la légèreté et prônait le sérieux, et d'une entreprise de dénigrement de la plupart des empereurs romains dont l'auteur est lui-même un empereur romain? Avec l'aide de Mme Sardiello, on peut en tracer la voie: d'abord prendre en compte le genre, notion si importante pour la rhétorique ancienne. Car les circonstances la fête des Saturnales imposent le genre, le prestigieux modèle platonicien fournit à ce genre et la garantie et les règles d'application. Ensuite recourir à ce que l'on sait de la situation de Julien à la fin de 362, sûr de son pouvoir et préparant son expédition en Perse, mais dans le moment de pause qu'est l'hivernage. Enfin remarquer l'arrière-plan délibérément philosophique et le désir d'incarner le roi-philosophe de la tradition hellénique. Tout cela place l'empereur "quasi in uno stato di ebrezza filosofica" (p. XXIV), c'est l'ébriété de Silène (ou d'Alcibiade) dans laquelle la sagesse se cache à l'intérieur de la folie et de la l'aideur.

Un examen minutieux et apparemment complet des manuscrits, une riche bibliographie qui n'a rien laissé de côté, ni parmi les éditions antérieures, ni parmi les études philologico-linguistiques et historico-littéraires parues jusqu'en 2000, un index verborum qui contient, semble-t-il, tous les mots employés ici par Julien: rien ne manque pour faire de l'ouvrage de Rosanna Sardiello l'édition de référence des années à venir.

Summary:
This is the last edition of Julian's Caesars, with italian translation, introduction, notes, commentary, full bibliography, index of greek words. R. Sardiello, in her very complete and updated work, gives us a better text than her predecessors, with a very accurate apparatus and a good study of Julian's sources and intentions. This edition deserves to become the reference for this text.

 
 

Pierre-Louis Malosse (Montpellier)
pl@malosse.org


1 Là aussi, R. Sardiello ne se contente pas de respecter un principe: elle donne à chaque fois la justification de ses choix. Voir, par ex. en 4,24.

2 Trop, peut-être: était-il bien nécessaire de donner tant d'animadversiones ou de conjectures non retenues de Cobet, de Hertlein et autres érudits du passé? D'autre part, le lecteur aurait eu la tâche plus facile si l'apparat avait été plus systématiquement positif.

3 Par exemple, au chap. 15, plêmmelounta aurait dû être traduit de façon à prolonger la métaphore musicale utilisée par Julien pour présenter la Tétrarchie au chap. précédent (ce qui est fort bien commenté dans une note de R. Sardiello): Licinius a commis des fausses notes ou des fautes de mesure, plutôt que "molte azioni sconvenienti". Ou encore, peut-être que "ingenuo" n'est pas la meilleure traduction pour archaios (1,5). On voit que l'auteur de cette recension "cherche la petite bête"...

4 Les notes sont abondantes et détaillées: visiblement, R. Sardiello a voulu ne rien laisser de côté, ce qui la conduit parfois à s'attarder sur des choses bien connues et peu utiles à la compréhension du texte (par ex. la calvitie de César). Mais il faut reconnaître que c'est un avantage pour le lecteur peu au courant de l'histoire romaine.

5 Ce qu'en dit Lacombrade n'est plus utilisable. Sans doute faudra-t-il attendre le résultat des travaux en cours, en particulier l'édition de l'HA dans la CUF sous la direction de J.-P. Callu. Ajoutons dans ce registre que R. Sardiello fournit une bonne base de cherches sur l'utilisation des Césars par Zosime.