Der Roman im Byzanz der Komnenenzeit, Referate des Internationalen Symposiums an der Freien Universität Berlin, 3. bis 6. April 1998, hrsg. von P. A. Agapitos und D. R. Reinsch, Frankfurt am Main: Beerenverlag  2000 [Meletemata 8], XI+146 S. DM 80,-- ISBN 3–929198-26-6

 

Le roman byzantin représente un type de production littéraire destiné à hanter encore longtemps les chercheurs : coincé entre le poids de la tradition ancienne, la concurrence du roman occidental, les règles contraignantes du genre et l’adaptation à la réalité mouvante de la société byzantine, il présente une pléthore de particularités difficiles à être maîtrisées par les byzantinistes. A cela, il faut ajouter aussi les différences dues à la personnalité des auteurs et à la période de production, car entre l’époque des Comnènes (XIIe) et celle des Paléologues (XII-XV), les changements radicaux du monde byzantin, qui a connu le morcellement de son espace et de son gouvernement suite à la IVe Croisade, ont entraîné des nouvelles données dans le domaine de la littérature. Ainsi la pénétration des Occidentaux avec leurs ouvrages littéraires, bientôt traduits en grec, comme l’élaboration constante des textes par des copistes-rédacteurs, compliquent la compréhension du roman byzantin.

Il est bien vrai que la dernière décennie a marqué des progrès remarquables dans ce domaine : déjà en 1985 la parution du  Digénis Akritas de l’Escorial par S. Alexiou a modifié la donne et ouvert à nouveau le troublant problème de l’ancienneté du texte. En 1989 R. Beaton avait fait circuler son étude sur le roman grec moyenâgeux, un livre contesté, mais qui a eu le mérite d’attirer les regards sur le secteur. Ainsi des nouvelles éditions des romances ont vu le jour, des traductions ont rendu plus accessibles les textes aux non-spécialistes, les articles se sont multipliés dans toutes les revues scientifiques. Le colloque organisé par P. Agapitos, professeur à l’Université de Nicosie, et D. Reinsch, professeur à l’Université de Berlin, se situe comme nouveau moment de réflexion : la publication des Actes en est la preuve.

Les neuf participants ont voulu présenter plusieurs aspects de la production “romanesque” byzantine de la première période, celle qui a vu l’épanouissement de ce genre littéraire après un silence séculaire. Ils ont alors essayé des parcours novateurs, censés nous permettre de lire les textes byzantins avec un goût retrouvé, loin des nos catégories esthétiques. Ces parcours montrent toutes les possibilités qui s’ouvrent à la recherche, et tous les doutes qu'un chemin non encore parcouru suscite. Cela a été aussi le sens de l’intervention d’abord de P. Agapitos, qui dans son discours d’introduction a rappelé l’état de la recherche et les perspectives futures, et de l’intervention de J. Ljubarskij, qui montre que les collègues russes sont prêts à porter une contribution essentielle dans le domaine.

La recherche doit à la fois exploiter des domaines peu connus et lire les textes avec des yeux nouveaux. Ainsi, parmi les interventions les plus intéressantes, il nous faut signaler celle de C. Ott, car les rapports entre monde grec et monde arabe en ce qui concerne la littérature représentent un chapitre destiné à donner des surprises dans l’avenir.

D’autre part il y a toujours le vieux problème du rapport de ces romans avec le passé grec : cet aspect a presque toujours été abordé avec des techniques philologiques raffinées. C. Jouanno propose une nouvelle approche, analysant l’image du corps dans les auteurs de l’Antiquité et dans les ouvrages des Byzantines. Son aperçu est fort intéressant : ses conclusions sont que l’attitude personnelle de chaque romancier byzantin s’exprime avec une liberté prête à dépasser les modèles figés de l’Antiquité. Il faudrait - peut-être - aller un peu plus loin, et voir si, au-delà du refus du modèle ancien (que nous pouvons facilement admettre), ces auteurs ne sont pas tributaires à une tradition byzantine contemporaine, et la confrontation avec d’autres textes différents, les histoires par exemples, peut probablement encore mieux expliquer la conception du corps à Byzance, et donc celle des romanciers. En d’autres mots, le parallèle avec l’Antiquité se montre encore une fois ambiguë, car il ne peut pas être constamment pris comme pierre de touche.

Fort riche de suggestions est la contribution de I. Nilsson, qui examine la structure de Hysminè et Hysminias pour y découvrir une structure cyclique en ce qui concerne le temps et l’espace de l’action, laissant ouvert le problème de la comparaison avec toute l’autre production artistique du XIIe siècle, que Nilsson promet d’analyser dans d’autres études. D’autres contributions, comme celle de P. Roilos sur la rhétorique, ou celle de E. Jeffreys sur la date du roman de Théodore Prodrome, Hysminè et Hysminias, sont apparentement plus ponctuelles, mais elles laissent la route ouverte pour des considérations plus générales qui enrichissent notre connaissance de la période et du domaine.

Le même jugement peut être avancé à propos des interventions de C. Cupane, qui est revenue avec des apports nouveaux sur l’un des sujets qu’elle a traités les plus souvent, le discours de l’amour, en ce cas dans la littérature de la période des Comnènes ; et de R. Harder, qui a considéré le rapport entre religion et foi, contribution qui porte sur le problème de l’Antiquité païenne, comme elle a été vécue par les romanciers chrétiens du XIIe siècle, ce qui nous amène aussi à la question des connaissances antiquisantes de ces auteurs.

Cependant - voici le signe des temps nouveaux - aucun intervenant n’a abordé des sujets philologiques, ce qui caractérisait plutôt l’intérêt des byzantinistes dans le passé. Face aux interminables querelles sur la forme originaire d’un roman, les spécialistes semblent se rendre à l’évidence et considérer désormais les textes dans la forme assurée par la transmission : sage décision qui renonce ou met à côté tous les Ur- très chers à la tradition philologique allemande, pour s’interroger sur la signification des textes dans leur contexte.

Le deuxième point à remarquer est que non seulement la méthode philologique a été suspendue, mais aussi l’histoire est restée plutôt à côté du discours, qui a choisi de se borner aux réflexions plus proprement littéraires. Le choix cette fois peut être quelque peu gênant, car toute interprétation ne peut pas se passer d’une analyse du milieu producteur de ces romans et du réseau des lecteurs, sous danger d’atteindre des bons niveaux de théorisation, mais de ne pas pouvoir les vérifier dans la ‘réalité’ byzantine, qui reste trop mal connue. La littérature a été souvent délaissée par les historiens, mais une littérature sans histoire risque de construire de rêves ou de jeux.

Des nouvelles pistes, on le voit bien, pour s’approcher d’un domaine complexe. L’effort est remarquable et assurera à ce livre une place importante dans la bibliographie future.

P. Odorico, Paris